Depuis peu, les organisations syndicales sont obligées à publier leurs comptes. Les petites entreprises, elles, se voient libérées de cette obligation. Pourquoi ?
Les historiens situent la naissance de la comptabilité au troisième millénaire avant Jésus-Christ et l’invention du livre « recettes-dépenses » à double-colonne aux Romains. Sa forme moderne en “partie double” remonte au moine franciscain Luca Pacioli, en 1494.
D’autres législations marquent le développement de la comptabilité et favorisent sa généralisation :
- Le code de commerce sous Napoléon I en 1807,
- La loi sur les sociétés commerciales du 24 juillet 1867, et
- La loi Caillaux qui introduit un régime spécial d’impôt pour les commerçants en 1914.
Mais il a fallu attendre 1947 pour la mise en place de normes avec un plan comptable imposant aux entreprises les moyens d’enregistrer leurs transactions. Il est remplacé en 1957 par le plan comptable général, régulièrement remis à jour, puis adapté à certaines activités économiques, notamment les associations en 1999.
Dans le contexte de la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la comptabilité s’impose comme un moyen de mesurer et de contrôler les contributions des entreprises au pacte social qui préside à la reconstruction de la France (et du Monde) et ce, à la lumière des comportements des entreprises durant l’occupation. Ce n’est pas un hasard que les Comités d’Entreprises, nouvellement créés (dès février 1945), soient dotés de la faculté de nommer un expert-comptable pour les assister dans l’intelligence des comptes annuels de l’entreprise.
On aurait pu croire à une publication généralisée des comptes des acteurs économiques…
Le développement de l’usage de la comptabilité s’est accompagné depuis 1957, par une législation et une jurisprudence foisonnante dont l’obligation, pour une entreprise, de publier annuellement ses comptes. S’effectuant par un dépôt au greffe du Tribunal du Commerce, l’accès à l’information relève du domaine public.
Contrairement à l’évolution (très) lente du contrôle comptable public des entreprises, l’obligation de produire et de publier des comptes a été imposée aux syndicats en un « clin d’œil ». Profitant du climat de suspicion né de l’affaire des « valises de l’UIMM », le gouvernement Fillon a exigé la transparence financière comme critère de la représentativité syndicale, critère intégré à la loi de 2008. Toute organisation syndicale doit publier ses comptes annuels et à partir de 230 000 € de ressources annuelles, désigner un Commissaire aux Comptes (2).
Une étude compréhensive de l’ensemble des comptes déposés dans le cadre des premières mesures de l’application progressive de cette loi (3) pointe d’ores et déjà les lacunes de part et d’autre. Comme dans les faits menant à la loi, les organisations patronales sont loin de fournir l’exemple.
Mais le gouvernement soulage les TPE/PME de cette obligation…
Parmi les mesures les moins médiatisées du Pacte de Compétitivité, le gouvernement supprime l’obligation de publier leurs comptes aux TPE de moins de 10 salariés dont le chiffre d’affaires est inférieur à 700 000 € (4). Motifs selon Jean-Marc Ayrault, le Premier Ministre, dans une interview publiée par le journal « Les Echos » le 18 avril 2013 :
- le dépôt des comptes annuels représente « une charge inutile » pour les très petites entreprises,
- on estime que seul un dirigeant d’entreprise sur deux dépose ses comptes tous les ans.
Au lieu donc de les contraindre à les publier et à respecter la loi, le gouvernement recule au prétexte d’une simplification administrative susceptible d’améliorer la compétitivité des entreprises françaises… Au grand dam des consommateurs, donneurs d’ordre et autres parties intéressées qui consultaient ces informations jusqu’à présent.
Un syndicaliste serait-il moins digne gestionnaire qu’un petit patron ?
Nous avons souligné ailleurs, l’organisation par le législateur d’une gestion chaotique des Comités d’Entreprise alors que ses attentions se tournent vers la stabilité lorsqu’il s’agit d’entreprises et d’associations.
Nouveau paradoxe ! S’agissant des petites entreprises, le non respect de la loi conduirait à une plus grande confiance et un relâchement de leurs contraintes alors qu’elles enregistrent un taux de fraude fiscale croissant. En revanche, les représentants du personnel chargés de gérer les budgets nettement moindres des syndicats ou des institutions représentatives, se voient à priori, chargés par les gouvernements successifs et des médias, de suspicions amenant des contraintes nouvelles.
Démontrer la transparence financière de son syndicat ou de son CE est en quelque sorte un double défi dans lequel l’apport d’un expert-comptable peut être déterminant.
Notes :
(1) lors d’une vente, par exemple, on effectue deux enregistrements : l’entrée des fonds et la contre partie de la sortie des marchandises.
(2) Une législation spécifique aux Comités d’Entreprise est promise mais toujours attendue.
(3) Panorama de la transparence financière des organisations syndicales et professionnelles (Cabinets Bec et Audisol).
(4) Et allège les formalités de dépôt pour celles dont le chiffre d’affaires ne dépasse pas 8 millions d’euros. 1,4 millions de TPE sont concernées.