Cela va bientôt faire 5 ans qu’un Accord National Interprofessionnel (ANI) a été négocié sur la qualité de vie au travail. Quelles leçons tirer de cette initiative ?
Cet accord invitait les entreprises à articuler amélioration de la performance et des conditions de travail, et à l’inscrire dans la dynamique des transformations des organisations. Intitulé « Vers une politique d’amélioration de la QVT et de l’égalité professionnelle », l’ANI cherchait donc avant tout à donner un cap, à mettre en avant des éléments de méthode et esquisser une véritable démarche. Plutôt que de donner de nouveaux droits, il incitait à expérimenter de nouvelles manières de travailler et s’organiser, afin de répondre aux :
- Enjeux sociétaux : allongement de la vie professionnelle, augmentation des familles monoparentales… La montée des questions sociétales trouve un écho dans l’ANI à travers l’équilibre vie privée/vie professionnelle, lié aussi à l’égalité femmes / hommes.
- Enjeux de santé au travail, notamment la prévention des risques psychosociaux. Les RPS renvoient à des questions d’organisation mais aussi à la conduite de ces changements et à leur rythme. Si ces enjeux se traduisent souvent par des mesures de prévention tertiaire, l’ANI incite plutôt à agir sur le contenu et la qualité du travail ainsi que sur le management.
- Enjeux du marché: évolution des exigences client, de la concurrence, mutations technologiques, … qui poussent les entreprises à accroître les rythmes d’innovation (produits, services, process, …). Cette tendance incite à agir en matière de formation des salariés, d’évolution professionnelle mais aussi d’accompagnement des changements.
Fin février 2019, l’ANACT a publié un rapport d’analyse des effets de l’ANI, notamment à partir d’une étude sur les accords ayant été signés dans les entreprises entre août 2017 et 2018.
Une prise en compte partielle de l’ANI dans la législation
Conclu à titre expérimental pour une durée de 3 ans, l’ANI a juridiquement cessé de produire ses effets et les clauses relatives à son suivi restent à ce jour virtuelles. Pour autant, il demeure un document de référence et ses apports sont aujourd’hui disséminés dans différents textes demeurant en vigueur (Lois, Plan Santé au Travail 3, accords collectifs…).
L’intégration du contenu de l’ANI dans le Code du travail s’est ainsi réalisée par « à-coups » législatifs (lois Rebsamen en 2015, El Khomry en 2016 puis les ordonnances en 2017). Cette succession a généré une certaine confusion sur ce qui doit être négocié́ ou non, et a pu susciter des comportements d’attente de stabilisation avant de négocier sur le sujet.
La prise en compte de la QVT dans le cadre légal traduit surtout une certaine ambivalence entre :
- D’une part, une logique sélective : la QVT prend désormais la forme d’une liste d’items, qui diffère de l’ambition de l’ANI d’avoir une approche plus globale voire systémique
- De l’autre, la possibilité de négocier « à la carte » ou s’appuyer sur un accord de méthode afin d’inciter à aller au-delà de la mise en conformité minimale et d’innover sur ces thèmes (articulation vie professionnelle-vie privée, droit d’expression et à la déconnexion, lutte contre les discriminations et maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés).
Par ailleurs, la question de la QVT est désormais aussi prise en charge par la normalisation. En effet, la norme ISO 45001 centrée sur le management de la sécurité et la santé au travail couvre ainsi « des aspects de santé et de sécurité, tels que le bien-être et la qualité de vie au travail ».
Enfin, les ordonnances Macron ne vont probablement pas dynamiser les négociations sur la QVT. Celles-ci ont en effet scindé la thématique de l’égalité professionnelle et de la QVT au sein des branches. Elles n’appartiennent donc plus au même « bloc de négociation », en contradiction avec la volonté de l’ANI d’appréhender ces thèmes ensemble pour une approche transversale. Par ailleurs, les accords de branche contenant des thématiques de QVT n’ont plus qu’une portée très limitée, puisqu’un accord d’entreprise, même moins favorable, prévaudra sur l’accord de branche.
Une mobilisation assez importante des acteurs-relais
L’ANI et la loi ont posé le cadre politique et institutionnel de la QVT. Mais il ne peut être « auto-porté » et suppose de la part des acteurs-relais une dynamique d’appropriation ainsi qu’un travail de production de méthodes et de modalités d’accompagnement des entreprises.
Les partenaires sociaux ont porté le sujet de la QVT dans le cadre du Plan Santé au Travail 3 (2016-2020), affichant l’objectif de « promouvoir le travail comme facteur de santé ». Ils ont aussi diffusé de nombreux outils et méthodes à l’attention de leurs adhérents pour les sensibiliser. Cependant, est regretté l’absence de suivi de l’ANI (comité de suivi et base de données des expérimentations), pourtant prévu par les signataires.
La mobilisation des acteurs de branche a produit assez peu d’outils (diagnostic, méthodes, étude de cas…) et a débouché sur de rares accords. La base Légifrance recensait en août 2018 seulement 4 accords de branche, au niveau des institutions de retraites complémentaires, des sociétés d’assurance, de vente à distance, et du secteur sanitaire, social et médico-social.
Par contre au niveau des filières, une forte activité de sensibilisation (colloques, articles, enquêtes) a été menée depuis 5 ans ainsi que des actions d’appui aux entreprises (charte, baromètre, …). En voici deux exemples :
- Dans la filière agro-alimentaire, avec une Charte de coopération, destinée à soutenir les entreprises dans leur dynamique de création d’emplois, d’adaptation des compétences et des métiers. La Charte a permis de mettre en œuvre des actions variées : formations, diagnostic de filière, accompagnement de plus de 700 TPE-PME.
- Dans le secteur sanitaire, la QVT fait depuis 2014 l’objet d’une thématique pour la certification V2014. 189 établissements de santé se sont lancés dans l’expérimentation d’actions de QVT et un observatoire national a été mis en place en 2017.
Enfin, l’offre de conseil sur la QVT s’est fortement étendue ces dernières années. Or la définition de qualité de vie au travail se prête à une utilisation très large du concept au risque de le dénaturer ou le dévoyer. Elle fait davantage référence au bien-être de la personne sur les lieux de travail, qu’a ̀ l’impact de l’organisation du travail sur sa santé. Des pratiques diverses sont alors proposées, de l’hygiène de vie (sport, méditation…) à l’outillage gestionnaire (par exemple : lean et QVT) ; de la discussion philosophique (le bonheur au travail) à des actions plus terre-à-terre (aménagement des open space…) ou encore au déploiement de nouveaux modes d’organisation (entreprise libérée). Cette réalité́ est renforcée par le fait que de nombreux dirigeants ne sont pas sensibilisés au lien entre conditions de travail et performance, et préfèrent alors agir sur le bien-être de la personne ou à de l’accompagnement en cas de transformation de l’entreprise (gestion du stress…), plutôt qu’engager des actions qui toucheraient réellement à l’organisation du travail.
Conscients des risques de confusion entre les conceptions de la QVT, les acteurs du Plan Santé au Travail 3 ont souhaité contribuer à professionnaliser l’offre et la rendre plus lisible, notamment en aidant les TPE-PME dans le choix de leur consultant QVT et en élaborant une charte proposant aux consultants de s’engager sur les principes de l’Ani.
Des avancées sur le sujet, notamment dans les accords d’entreprise
Sur une année (sept. 2017-août 2018), la base Légifrance a recensé 20 000 accords d’entreprise dont 1 500 sur l’égalité professionnelle, 600 sur la QVT et 26 sur la prévention des risques.
La grande majorité des accords EP-QVT met l’accent sur les enjeux sociétaux, sur l’égalité professionnelle, l’articulation des temps et la conciliation vie privée/vie professionnelle, la diversité, le handicap… Ces thèmes sont clairement abordés dans les accords, avec des règles, des droits et des objectifs. Une grande importance est accordée aux éléments de méthode sur le thème de l’égalité (diagnostic, bilan de situation, données statistiques, indicateurs de suivi…).
Concernant la santé au travail, les améliorations apparaissent plus incertaines, étant mentionné que rarement dans les accords. Ou alors peu de liens sont faits entre les questions de charge, de contenu et d’organisation du travail. La prévention primaire, notamment les mesures organisationnelles, sont ainsi peu présentes, comme développer l’autonomie ou agir sur les contraintes de production. Le sujet de la charge de travail par exemple est généralement limité à des rappels de règles de base (respect des plannings, horaires des réunions, …).
Le domaine du changement organisationnel, pourtant fortement lié à la santé au travail et à la qualité de l’engagement des salariés, apparaît comme le parent pauvre des accords EP-QVT. De même, l’accompagnement des évolutions technologiques est rarement abordé, et la question du numérique souvent limitée « au droit à la déconnexion » sans que les enjeux d’évolution des métiers et d’organisation du travail ne soient intégrés.
Afin de favoriser l’expression des salariés sur leur travail, l’Ani met l’accent sur la qualité du dialogue social. Les accords analysés reprennent à la lettre la loi sur le droit d’expression, en le limitant souvent à l’entretien annuel. Les références aux « espaces de discussion sur le travail » auxquels invite l’Ani sont quasi inexistants. Le rôle central du manager pour progresser en matière de QVT est, lui, fréquemment rappelé. Le manager doit être à la fois à l’écoute, en soutien à ses équipes sans que l’on perçoive de quelle façon il peut gérer toutes ses responsabilités. Par ailleurs, les « managers-concepteurs », qui pourtant déterminent les contraintes organisationnelles (bureau des méthodes, achats, directeur de production…) sont absents du champ de ces accords.
Enfin, l’objectif de transversalité, et de « performance globale » apparait encore éloigné. Les rapports de causalité entre l’organisation du travail (charge, autonomie, variété des tâches, efficience…), la santé (absentéisme, RPS, tensions sociales…) et les métiers (compétences, employabilité, …) ne sont, la plupart du temps, pas évoqués dans les accords analysés.
Conclusion
A l’heure où la prévention des RPS reste un enjeu fort pour les entreprises, que les attentes sociétales sont croissantes et que le rythme des changements s’accentue encore, l’ambition de l’Ani de 2013 reste en phase avec les préoccupations du monde du travail. Ce bilan laisse d’ailleurs entrevoir que la QVT s’installe progressivement dans le paysage social des d’entreprises.
Il n’existe cependant toujours pas de référentiel clair et partagé sur la QVT pour aider les acteurs à négocier et mettre en œuvre ces démarches. Il serait donc nécessaire de :
– Reformuler clairement le champ de la QVT
Le terme qualité de vie au travail a été trop souvent associé à des enjeux sociétaux, voire des actions périphériques du travail (sport, crèches, espace de co-working…) alors que l’intention initiale des signataires de l’Ani consistait à aider les entreprises à agir sur la qualité du travail et les conditions de sa réalisation. Une reformulation du champ semble donc nécessaire pour
- Marquer l’ambition d’accorder une place centrale aux transformations du travail dans l’objectif de combiner amélioration des conditions de travail et efficience
- Souligner le caractère transversal de la démarche ainsi que ses fondamentaux, notamment la participation des salariés
- Elargir le système d’acteurs : Peut-on vraiment intégrer les enjeux d’organisation du travail et leurs impacts si les élus du personnel et le DRH seulement sont impliqués ? Pour favoriser une approche systémique, il faudrait intégrer dans la concertation préalable aux négociations QVT les chefs de projet, responsables production, … dont les choix déterminent une partie des contraintes qui s’imposent aux salariés. Mais comment mieux les former aux liens entre organisation, santé et efficience ?
– Mobiliser les pratiques
S’il revient à chaque entreprise de trouver sa « formule QVT », certaines pratiques paraissent davantage porteuses d’avenir pour répondre aux ambitions souhaitées.
- L’accord de méthode : encore peu répandu, il apparait pourtant propice à l’innovation et l’apprentissage dans une perspective d’amélioration continue
- L’évaluation : plutôt que d’évaluer les risques en aval, le mieux serait d’évaluer en amont les organisations et leurs impacts potentiels sur la qualité, l’efficacité et la santé
- La formation : la recherche et les enquêtes ont démontré les relations entre l’intensification du travail, la santé, la performance. Les branches et organismes d’appui aux entreprises ont un rôle clé à jouer pour diffuser ces connaissances.
- Les actions collectives : de branche, de filière ou sur un territoire sont des espaces privilégiés d’apprentissage et d’adaptation d’un référentiel aux entreprises.
Axia Consultants, cabinet agréé pour réaliser des expertises Santé, sécurité et Conditions de Travail (SSCT), accompagne les partenaires sociaux depuis 20 ans. Vous préparez la négociation d’un accord QVT au sein de votre entreprise ? Nos consultants vous conseillent avec :
- une formation sur le thème “Mettre en place une démarche QVT” adressée aux parties prenantes (employeurs, managers, instances représentatives du personnel)
- la réalisation d’un diagnostic RPS dont les résultats serviront de base au plan d’actions
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