Les ordonnances visant à réformer le droit du travail ont été dévoilées jeudi 31 août. En plus de transformer les instances représentatives du personnel, elles modifient les missions d’expertise en santé au travail (anciennes expertises CHSCT).
Des cas de recours quasiment semblables
L’article L.2315-93 de l’ordonnance ressemble mot pour mot à l’article L.4614-12 du Code du Travail actuel, précisant les cas de recours à un expert : lors d’un risque grave ou de projet important modifiant les conditions de travail. Seuls deux mots ont été ajoutés au niveau du risque grave, devant être « identifié et actuel ».
On peut supposer, avec le terme « identifié » que l’objectif est d’accroître l’investissement des membres du CHSCT, pour tenter d’étayer la situation problématique au maximum avant de passer par une demande d’expertise, coûteuse pour l’entreprise. Le terme « actuel » précise que l’expertise doit concerner une problématique toujours d’actualité. Il faudra toutefois être vigilant pour que cela ne limite pas certaines expertises, qui sont des conséquences de projets importants passés.
Une régression dans la prise en charge financière des expertises
Actuellement, les expertises CHSCT sont exclusivement à la charge de l’employeur, le CHSCT n’ayant pas de budget de fonctionnement. Avec la nouvelle loi, la prise en charge d’une partie des expertises sera assurée par le comité à hauteur de 20%, en particulier celles concernant les consultations ponctuelles.
- Les projets d’ordonnance précisent toutefois que les coûts des expertises pour risque grave continueront à être entièrement pris en charge par l’employeur.En revanche, les expertises projet important rentrent dans la catégorie des expertises concernant les consultations ponctuelles et, à ce titre, devront être financées à hauteur de 20% par le budget de fonctionnement du futur CSE. Les possibilités d’action du comité en cas de restructuration, modification d’organisation ou des conditions de travail risquent de se réduire fortement, le comité devant en assumer financièrement une partie, non plafonnée.
- Les Projets de licenciement collectif (PSE) semblent bénéficier d’un traitement particulier. En effet, les PSE sont des « projets importants » issus de « consultations ponctuelles ». Néanmoins, selon l’article L1233-34, il est prévu une expertise économique « sur les effets potentiels du projet [PSE] sur les conditions de travail », expertise prise en charge à 100% par l’employeur. L’article reste ambigu sur la qualité de l’expert et de l’expertise prise en charge : est-ce uniquement l’expert économique qui, dans son rapport, doit également présenter les conséquences du projet sur les conditions de travail ? ou faut-il comprendre que les expertises CHSCT dans le cadre des PSE continuent également à être financées à 100% par l’employeur ?Dans tous les cas, d’après l’article L.1233-21 et dans la prolongation des anciens accords de méthode, les projets d’ordonnances envisagent qu’ « un accord d’entreprise, de groupe ou de branche peut fixer […] le cadre de recours à une expertise » dans cette situation.
Une limitation du nombre d’expertises ?
L’article L2315-74 a suscité des inquiétudes puisqu’il explique qu’ « un accord d’entreprise détermine le nombre d’expertises dans le cadre de consultations annuelles sur une ou plusieurs années ». Toutefois, cela ne concerne pas les expertises en santé au travail puisqu’elles font partie des expertises « en vue d’une consultation ponctuelle ». Leur nombre ne sera donc pas restreint dans le temps. Néanmoins, cela pose question de manière générale pour les élus, puisque cela remet en question le droit même à recourir à une expertise.
De nombreux points restants à éclaircir
De nombreux sujets concernant l’organisation des missions restent à être définis dans le cadre de décrets de Conseil d’Etat, comme le stipule :
- L’article L.2315-78, concernant le délai de désignation d’un expert, suivant la décision de recours à expertise,
- L’article L.2315-79, concernant le délai de notification à l’employeur du coût prévisionnel, de l’étendue et la durée d’expertise.
Cela semble indiquer qu’il va falloir deux réunions différentes alors qu’aujourd’hui, le CHSCT peut procéder à la délibération et à la désignation de l’expert lors d’une même réunion.
- L’article L.2315-83, concernant le délai maximal dans lequel l’expert remet son rapport et les modalités de réalisation de l’expertise.
Actuellement, aucun délai d’intervention n’est fixé par le Code du travail concernant l’expertise pour risque grave. Pour projet important, les délais sont plus stricts. L’expertise est réalisée dans le délai d’un mois et peut être prolongée sans toutefois excéder 45 jours.
Même l’habilitation des experts pourrait être modifiée. L’article L.2315-93 précise en effet que le comité « peut faire appel à un expert habilité dans des conditions prévues par décret en Conseil d’Etat ». Actuellement, les conditions dans lesquelles l’expert est agréé et rend son expertise sont déterminées par voie réglementaire. C’est le Ministère du Travail qui juge de la pertinence de l’attribution de l’agrément et qui fixe la durée de validité, d’un à cinq ans, renouvelable. Le candidat fournit un dossier qui sera instruit par un conseil composé d’institutions (INRS, ANACT) et qui donnera son avis au ministre via une commission du Conseil d’Orientation sur les Conditions de Travail (COCT).
Une évolution dans la mise en œuvre des litiges
De nombreuses modifications étaient déjà intervenues avec l’adoption de la loi Travail, publiée en août 2016. Les projets d’ordonnances affinent les modalités de règlement des litiges :
- Une limitation des délais de contestation : Auparavant, l’employeur pouvait contester une expertise sans aucune restriction de délai : soit avant même que l’expert ne débute ses travaux, ou bien après une fois le rapport final remis. Aujourd’hui, d’après l’article L.2315-84, l’employeur doit désormais « saisir le juge judiciaire dans un délai de cinq jours » (quinze jours pour la loi Travail) à compter de :
- La délibération du comité décidant le recours à expertise s’il entend contester sa nécessité ou le choix de l’expert,
- La notification du cahier des charges s’il conteste le coût prévisionnel, l’étendue, la durée de l’expertise ou le coût final.
- La suspension de la mission et des délais préfixés pour rendre l’avis en cas de contestation : Avant la loi Travail, l’expertise pouvait continuer à se dérouler même si l’employeur la contestait, puisque le recours juridictionnel n’était pas suspensif. Aujourd’hui, l’article L.2315-84 explique que ce recours « suspend l’exécution de la décision du comité, jusqu’à la notification du jugement ». En cas de contestation, l’expert verra ses travaux mis en suspens. Afin de limiter les conséquences de cette suspension, l’article précise que le juge statue « dans les dix jours suivant sa saisine ». Compte tenu de la complexité des contestations et de l’encombrement des juridictions, ce délai semble assez illusoire. L’employeur va donc devoir s’interroger sur l’opportunité de la contestation de l’expertise dans la mesure où le délai de consultation de l’instance va se retrouver allongé, non pas d’une dizaine de jours, mais vraisemblablement de plusieurs semaines.
- Les projets d’ordonnance ré affirme une mesure de la loi Travail : en cas de litiges, le juge statue « en premier et dernier ressort ». Les litiges pourront donc seulement faire l’objet d’un pourvoi devant la Cour de cassation.
A priori, ces dispositions nouvelles ne concerneraient pas la désignation d’un expert sur un projet de restructuration et de compression des effectifs, qui resteraient régies par les règles spécifiques prévues à l’article L. 4614-13 du Code du Travail.