La crise inédite que traverse le monde entraîne un bouleversement des procédures et des règles habituelles au travail. En France, plusieurs entreprises ou secteurs ont signé ou envisagent de signer un accord d’entreprise ou de branche en lien avec la crise du coronavirus. Voici un panorama des bonnes pratiques en la matière.
Les changements dans la procédure de négociation
La visioconférence
Le Ministère du Travail encourage les négociations par visioconférence pendant l’état d’urgence sanitaire. A cet effet, l’ordonnance n° 2020-389 donne la possibilité à l’employeur d’y recourir pour toute réunion du CSE ou des autres IRP, ainsi qu’à la conférence téléphonique voire, en derniers recours et sous conditions, à la messagerie instantanée. L’employeur doit simplement informer préalablement les membres des instances concernées de son choix d’y recourir.
Les réunions par visioconférence sont parfaitement valables tant que le principe de loyauté est respecté. Ce qui implique notamment que les négociations soient menées collectivement et que l’ensemble des parties soit bien convoqué aux réunions.
Signature (ou vote)
La signature de l’accord reste obligatoire malgré la distance. Le Ministère du Travail recommande d’envoyer l’accord par mail afin qu’il soit imprimé, signé, puis numérisé. Sinon, de l’envoyer par courrier ou porteur. S’il est impossible d’avoir toutes les signatures sur le même exemplaire, l’accord signé « sera constitué de l’ensemble des exemplaires signés par chaque partie ». Dans ce cas, il faudra bien veiller à déposer en ligne tous les exemplaires.
Rappelons qu’une organisation syndicale peut donner mandat à une autre OS pour signer, voire à l’employeur ou son représentant. Si un simple mail peut suffire (du moment que l’expéditeur est clairement identifiable), le mandat par écrit reste préférable.
Par ailleurs, le recours à la signature électronique constitue une autre option, mais sous de nombreuses conditions.
Enfin, pour les entreprises soumettant l’accord au vote (les entreprises de moins de 11 salariés par exemple), le vote électronique est valable et même recommandé. Il doit évidemment respecter la confidentialité du vote et l’émargement des personnes consultées.
Ce que peut contenir l’accord d’entreprise relatif au coronavirus
Le recours à l’activité partielle (ou chômage partiel) doit être la dernière possibilité, son but initial étant d’éviter les licenciements. L’accord d’entreprise ou de branche lié au coronavirus devrait ainsi le rappeler. En outre, des mesures destinées à éviter ou du moins limiter le recours à l’activité partielle doivent y figurer.
Autre remarque, comme pour tout accord d’entreprise, attention à bien vérifier les termes de la convention collective sur chaque sujet abordé.
Santé
Si tout ou partie des salariés doit impérativement travailler sur site, pour éviter à ces salariés de prendre les transports en communs, l’accord peut leur donner la possibilité d’utiliser leur véhicule personnel en prenant en charge les frais de déplacements (sous forme d’indemnités kilométriques par exemple).
L’accord peut également donner la possibilité de prendre la température des salariés à l’entrée des sites. Attention, soulève la Cnil : l’employeur ne peut pas l’imposer ! Il ne peut que sensibiliser les salariés et les encourager à rentrer chez eux et consulter un médecin en cas de température élevée. Au passage, l’accord peut confier aux CSSCT d’établissements les modalités de prise de température.
Prise de CP/RTT/CET
N.B. : Lire notre article pour plus de précisions sur les possibilités offertes par les ordonnances de fin mars.
Il faut bien distinguer 2 cas. Concernant les congés payés, l’employeur doit nécessairement passer par un accord d’entreprise ou de branche pour déroger au Code du Travail. En revanche, il peut s’en passer pour les RTT ou jours de repos en compte épargne-temps (CET). Il convient cependant de tout clarifier dans un accord d’entreprise ou de branche.
Ainsi, l’accord peut prévoir que les salariés consomment un jour de CP/RTT/CET par semaine d’activité partielle. Ou imposer la prise de plusieurs jours de CP/RTT/CET consécutifs pour fermer l’entreprise en évitant de recourir à l’activité partielle.
À noter, il convient de prévoir un garde-fou. Par exemple, exclure de ces dispositions les salariés ayant déjà volontairement posé 6 jours de congés payés au moins pendant l’épidémie.
Inversement, certaines entreprises étant en suractivité, l’accord d’entreprise Coronavirus peut donner la possibilité à la direction de refuser la prise de congés payés ou d’imposer le report de jours de repos déjà posés.
Par ailleurs, l’accord peut préciser les délais de prévenance. Ceux-ci ne peuvent toutefois descendre en-dessous du minimum prévu par les ordonnances (1 jour franc).
Notons que, pendant les CP/RTT/CET, le salarié est payé à 100%, contre 70% de son salaire brut en cas d’activité partielle (sauf bien-sûr, si l’employeur verse un complément). En revanche, le coût d’un salarié pour l’entreprise est nettement plus important en cas de CP/RTT/CET qu’en cas d’activité partielle, même s’il maintient les salaires.
Enfin, le Ministère du Travail a prévenu qu’il effectuerait des contrôles a posteriori pour vérifier le bien fondé du recours à l’activité partielle. La prise de mesures dérogatoires concernant les CP/RTT/CET aidera l’entreprise à prouver qu’elle a cherché à éviter voire limiter ce recours à l’activité partielle.
Télétravail
Enfin, s’il y a des salariés non éligibles au télétravail et en incapacité de travailler sur site, l’accord doit clarifier leur situation. Maintien de salaire ou non? Primes incluses ou non? Durée de la disposition?
Autres mesures préventives
L’accord peut prévoit le réaménagement des postes, la mise en place d’équipes alternantes ou la mobilité interne. Dans ces cas, il devra aborder la question de la valorisation de ces changements : déplafonnement de la valorisation des jours de mobilité, paiement en heures supplémentaires (ou plus) les jours travaillés à un autre poste que le poste habituel du salarié, …
Enfin, les entreprises des « secteurs d’activités particulièrement nécessaires à la sécurité de la nation et à la continuité de la vie économique et sociale » (selon les ordonnances) peuvent déroger aux durées maximales du travail. Si l’employeur peut agir unilatéralement (sous conditions), il est recommandé de clarifier les changements dans l’accord d’entreprise.
Activité partielle
N.B. : Lire notre article pour plus de précisions sur les possibilités offertes par les ordonnances de fin mars.
Si l’activité partielle est inévitable, l’accord doit préciser quels établissements, services, ateliers, catégories de salariés sont concernés. Sans oublier les modalités d’information des salariés.
Il doit ensuite clarifier les modalités de rémunération.
Par ailleurs, il est recommandé de rappeler dans l’accord les droits des salariés. Ceux-ci continuent-ils d’acquérir des jours de congés payés ? Ont-ils droit à l’intéressement / participation ? etc.
Il y a un autre sujet que l’accord doit clarifier : les budgets des CSE. Quelle assiette de calcul retenir en cas d’activité partielle ? Les textes ne sont pas clairs et aucune ordonnance n’est venue clarifier la question. Aussi, l’accord peut stipuler que les indemnités d’activité partielle rentrent dans le calcul des budgets des CSE.
Enfin, l’accord peut prévoir la mise en place d’un fonds de solidarité pour financer les éventuels maintiens de salaire.
Récupération des heures non travaillées
Pour les salariés n’ayant pas effectué toutes les heures qu’ils travaillaient habituellement, quelle qu’en soit la raison, l’accord peut prévoir des modalités de récupération de ces heures. Il peut aussi reporter la question à un autre accord ultérieur. Ou confier à chaque établissement le soin de préciser les modalités de récupération dans un accord d’établissement.
L’accord peut déjà préciser la période de récupération, par exemple d’ici la fin de l’année civile, ou la fin de l’exercice. Il peut aussi ne donner qu’un cadre général et laisser ensuite les directions de site ou les managers préciser ces modalités selon les situations.
Cette récupération peut se faire en augmentant la durée d’un jour de travail, en ajoutant une journée ou demi-journée de travail, en prenant sur les jours de repos stockés sur les compteurs légaux. Attention : dans ces cas-là, l’accord devra clairement fixer une limite !
Ensuite, l’accord devra préciser le mode de rémunération des heures récupérées : en heures supplémentaires ou non ? Il peut même prévoir une majoration supérieure à celles des heures supplémentaires.
Autres mesures sur l’après-épidémie (congés d’été)
L’été arrive et avec lui la question des congés d’été. Or, les ordonnances permettent de déroger au Code du Travail jusqu’au 31 décembre 2020. L’accord peut donc se saisir du sujet et préciser des modalités exceptionnelles de prise de congés pour l’été 2020.
Par exemple, il peut modifier l’ordre de priorité et placer en tête les salariés ayant travaillé sur site durant l’éventuelle période d’activité partielle. Ou encore, il peut garantir le droit des conjoints travaillant dans l’entreprise à des congés simultanés (droit suspendu par les ordonnances). Il peut aussi garantir la prise de 2 semaines consécutives aux salariés.
La planification des congés pour l’après-épidémie est importante : l’absence prolongée de salariés essentiels à l’entreprise au moment du redressement de la situation peut s’avérer lourdement préjudiciable.
Autre sujet : la santé des salariés après l’épidémie. L’accord peut renforcer les moyens de la CSSCT, voire créer une commission adhoc.
Information
Il est recommandé de prévoir les modalités d’information ou d’information/consultation dans l’accord : qui est informé (inspecteur du travail, IRP, …) pour quels sujets (fermetures de site voire d’entreprise, modalité de récupération des heures non travaillées, …).
L’accord peut aussi prévoir des réunions d’information plus fréquentes en format réduit. Par exemple, la direction générale avec les coordinateurs syndicaux du groupe.
Par ailleurs, comme nous l’avons souligné plus haut, l’accord d’entreprise lié au coronavirus doit aussi préciser les modalités d’information régulière des salariés.
Clause de revoyure
Enfin, l’accord doit prévoir des modalités de suivi de son application et/ou une date pour faire le point, par exemple au 1er semestre 2021. Cela permettra par exemple de s’assurer de la récupération de l’ensemble des heures ou jours non travaillés.
Ce que peut contenir l’accord de branche
Un accord de branche lié au Coronavirus sera logiquement plus général qu’un accord d’entreprise. Il est recommandé d’ailleurs de rappeler en préambule que l’accord de branche n’est que supplétif. La conclusion d’un accord d’entreprise doit être préconisée.
L’accord de branche peut fixer un cadre général pour l’utilisation dérogatoire des jours de congés payés (puisque pour cela il faut obligatoirement un accord d’entreprise ou de branche), pour la prise des congés d’été, etc.
Il peut enfin se saisir de la question de la formation. Pour, par exemple, encourager la formation des apprentis en ligne (compte tenu de la fermeture des CFA).
Quoi qu’il en soit, l’objectif de l’accord de branche est d’adapter les dispositions conventionnelles à la situation actuelle et de cadrer un minimum les différentes mesures qu’un employeur peut prendre en l’absence d’accord d’entreprise.
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