D’après le code du travail, le CHSCT peut demander à se faire assister d’un expert agréé par le ministère du travail dans deux situations :
– En cas de risque grave
– En cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail.
1. La définition du risque grave
Le risque grave peut être révélé ou non par un accident ou une maladie professionnelle ou à caractère professionnelle constaté dans l’établissement (L 4614-12).
Le code du travail ne définit pas clairement le degré de gravité du « risque grave » car du fait des variabilités interindividuelles les conséquences pour la santé des collaborateurs pour un même risque peuvent être diverses et revêtir des degrés de gravité variés. D’autre part les impacts sur la santé peuvent apparaitre de façon postérieure à l’exposition au risque. Il est alors du devoir du CHSCT d’identifier le risque car le recours à l’expertise est possible même si le risque ou l’exposition au danger est passé, à condition que l’atteinte pour la santé ou la sécurité du salarié soit elle bien actuelle. C’est pourquoi le risque n’est pas nécessairement imminent ou soudain.
Une preuve scientifique irréfutable n’est pas nécessaire pour effectuer une demande d’expertise, mais l’existence d’un risque grave doit être démontrée à l’aide d’indices tangibles.
Le risque grave peut représenter un danger soit pour la santé physique comme une augmentation importante de lombalgies ou de tendinites, des cas de surdité liés à l’exposition au bruit ; soit pour la santé mentale comme une augmentation des arrêts ou de l’absentéisme due à du stress ou à une tension extrême dans l’entreprise, ou encore des cas de harcèlement moral ou sexuel.
Tout comme les risques physiques plus faciles à formuler car visibles, les risques psychiques doivent également être constatés et démontrés de manière tangible. Une demande d’expertise s’appuyant uniquement sur des sentiments diffus serait irrecevable. A ce titre les données sociales (absentéisme, arrêts maladies, accidents du travail, journée d’absence) fournies par les bilans sociaux peuvent constituer une piste intéressante pour argumenter la demande d’expertise.
2. Un travail en amont primordial pour éviter les contestations
Les frais liés à l’expertise pour risque grave sont intégralement supportés par l’employeur. Celui-ci ne peut s’opposer à l’expertise. En ce sens il ne peut s’opposer à l’entrée des experts dans l’établissement, et il se doit de fournir toutes les informations, documents ou données demandés par l’expert. Ce dernier sera alors soumis au secret professionnel.
Cependant l’expertise pour risque grave est soumise à un taux de contestation important dû au flou encadrant sa définition. Le risque lui-même peut être difficile à identifier et à définir, et le fait qu’il soit selon le code du travail révélé ou non peut également être source de difficulté.
L’employeur peut ainsi contester la nécessité du recours à l’expertise et remettre en question le caractère identifié et actuel du risque grave, mais également le choix de l’expert ou encore le coût ou l’étendue de l’expertise.
Ainsi il est important que le demande d’expertise soit suffisamment argumentée et documentée. Ce n’est pas à l’expert de caractériser l’existence du risque grave mais bien aux membres élus de l’instance. L’expert aide à se positionner sur la notion de risque grave et à structurer sa résolution. Une préparation en amont par les membres élus au CHSCT et en collaboration avec le cabinet d’expertise est donc essentielle pour mener à bien la demande d’expertise.
Il n’est pas rare de constater que les employeurs orientent l’analyse des situations de travail vers des problématiques individuelles et isolées. Il est alors important que le CHSCT recentre le débat sur le travail et ses conditions de réalisation, qui à ce titre est une question collective et non plus individuelle. Pour ce faire, des éléments chiffrés sur plusieurs années comme le taux d’absentéisme, d’arrêt pour maladies ou accidents professionnels ou encore le taux de départ avec les motifs associés peuvent être des éléments tangibles permettant d’étayer et d’argumenter la demande d’expertise pour risque grave. Des témoignages ou des observations/connaissances de cas précis peuvent également étayer la demande. D’autre part l’appui des acteurs externes de la prévention tels que le médecin du travail ou l’inspecteur du travail est primordial pour légitimer la demande d’expertise.
3. Le déroulement d’une expertise pour risque grave
Les différentes étapes pour faire une demande d’expertise
- Inscrire à l’ordre du jour du CHSCT l’objet de l’expertise.
Seuls les sujets inscrits à l’ordre du jour peuvent faire l’objet de discussions et de délibérations lors des réunions ordinaires ou extraordinaires du CHSCT. De fait, le motif du recours à l’expertise doit y être préalablement inscrit.
À noter que l’intention de recourir à une expertise ne doit pas nécessairement figurer en ces termes à l’ordre du jour, cela peut résulter d’une décision spontanée lors de cette réunion. L’ordre du jour doit être signé conjointement par le président et le secrétaire du CHSCT.
- Procéder à la délibération en 3 votes
La délibération à propos du recours à l’expertise devra comporter les sections suivantes :
- Le contexte et les motivations du recours à l’expertise
- Le nom et l’adresse de l’expert
- Une pré-élaboration des attendus de l’expertise, de son périmètre et de l’ensemble des missions confiées à l’expert sous forme de cahier des charges.
Une fois cette étape validée, il s’agira de procéder aux trois votes concernant :
- Le recours à l’expert
- La nomination du cabinet
- La désignation d’un membre du CHSCT qui sera l’interlocuteur privilégié de l’expert et le représentant du CHSCT lors d’éventuelles procédures judiciaires engagées.
- Signaler au cabinet sa nomination et le recours à l’expertise
Une fois que la délibération du CHSCT est votée, il convient de suivre un certain formalisme pour mener à bien l’expertise par un cabinet agrée par le Ministère du Travail. Il convient alors de veiller à l’élaboration et à la transmission du procès-verbal retraçant les débats, les résultats des votes et la délibération au cabinet.
Puis, le cabinet enverra une lettre de désignation au président du CHSCT.
Enfin, une réunion tripartite (entre le cabinet mandaté, les représentants du personnel au CHSCT et la Direction) sera programmée. Celle-ci doit permettre d’entamer la phase d’instruction de la demande et d’élaborer la lettre de mission qui reprendra entre autres, la méthodologie envisagée, les modalités de recueil et d’analyse des informations, ainsi que le budget temps et financier alloué.
Délais d’expertise
Le risque grave fait preuve d’une grande diversité de contexte. C’est pourquoi le délai d’expertise n’est pas prédéfinie de façon légale mais définie en accord avec les membres élus au CHSCT suivant le cadre de la demande.
Déroulement et apport de l’expertise
L’expertise se déroule généralement en 3 étapes clefs :
La préparation de l’expertise, qui comporte entre autres l’analyse de la demande, l’analyse documentaire, les entretiens avec les membres du CHSCT… etc. Cette étape doit permettre à l’expert de comprendre la situation et d’élaborer une proposition d’expertise où les champs d’investigation auront été ciblés.
La phase d’investigation comprend les entretiens avec les salariés ainsi que les périodes d’observation. Celles-ci permettent à l’expert le recueil des informations nécessaires au traitement de la demande.
La phase d’analyse et de restitution s’appuient sur les informations préalablement recueillies. L’expert traite les informations pour les rendre accessibles et visibles au sein d’un rapport détaillé. L’objectif est de dépeindre la situation de façon objective le plus lisiblement et clairement possible dans le but de :
- Alimenter et éclairer la réflexion des représentants du personnel au CHSCT face à la situation de risque grave.
- Identifier les symptômes présents au sein de l’entreprise ainsi que les facteurs de risque pour l’hygiène, la santé, la sécurité et les conditions de travail des salariés pour anticiper de manière préventive la dégradation des conditions de travail et la santé des salariés
- Comprendre les enjeux liés aux conditions de travail et permettre leur analyse de façon claire, en mettant à profit des compétences pluridisciplinaires.
- Formuler des recommandations pour prévenir l’exposition des collaborateurs et alimenter un plan de prévention durable et efficace permettant d’agir à la source des problèmes rencontrés, comme le préconise le Code du travail dans les principes généraux de prévention :« combattre le risque à la source ».
Bien que ces points soient essentiels, il est également important de rappeler que la réalisation d’une expertise pour risque grave permet des rencontrer les collaborateurs et de remettre au cœur du débat leur travail et les conditions de sa réalisation. L’expertise permet ainsi de mettre en place par le biais d’entretiens ou d’observations des espaces de paroles et de discussion où les collaborateurs pourront faire part de leurs ressources disponibles et des contraintes subies. Ou encore des attentes et espérances qu’ils projettent sur leurs activités.
« Ainsi, au-delà de son utilité pour l’intervention elle-même, la parole des salariés est souvent le premier enjeu de l’expertise : en (re)plaçant le travail sur le devant de la scène, en en faisant le sujet principal de ses investigations, l’expertise devient une occasion, pour ceux qu’elle sollicite, de le mettre en scène, et par là une occasion de se le réapproprier. » (Fortino, Sabine. Tiffon, Guillaume. (2013) L’expertise CHSCT : quelle ressource pour le syndicalisme ?. La Nouvelle Revue du Travail.)
Etant agréé par le ministère du travail, le discours de l’expert revêt une valeur particulière et permet de mettre en lumière les manquements de l’employeur. L’expertise s’assimilant à une information objective portée à la connaissance de l’employeur, le diagnostic expose les potentielles responsabilités pénales et sociales de celui-ci. Ainsi pour les membres élus au CHST les expertises peuvent être un recours utile en ouvrant des nouveaux leviers d’actions dans les négociations.