Une entreprise cotée en bourse, peut-elle être son propre actionnaire ? La réponse est oui, grâce aux rachats d’actions et cela semble particulièrement intéresser les entreprises de restauration collective. Les groupes français Sodexo et Elior, le britannique Compass et même l’américain, Aramark, sont parmi les plus engagés…
Amélioration du bénéfice par action, éloignement de la contestation, autocontrôle du capital, un outil financier pour les opérations de croissance et des titres en réserve à distribuer aux « bons » collaborateurs, l’OPRA offre bien des attraits aux entreprises pouvant en profiter…
Rachats d’actions : de quoi s’agit-il ?
Pour les sociétés cotées, l’acte de racheter ses propres actions peut être effectué de deux manières, soit, au coup par coup par simple annonce enregistrée à l’AMF, soit dans le cadre d’une Offre Publique de Rachat d’Actions (OPRA). Celle-ci doit être votée au préalable à sa mise en œuvre par l’Assemblée Générale des Actionnaires et obéir à quelques limites, assez larges, concernant la durée de l’offre (18 mois max.), le nombre maximal d’actions à racheter (10% de l’existant, max.), le montant total y consacré ainsi que le prix maximal à payer, par action.
Ces opérations servent principalement quatre catégories d’objectifs, la première étant la préférée des autorités boursières :
- Un bonus aux actionnaires
Il est obtenu en annulant les actions rachetées afin d’augmenter mécaniquement le bénéfice par action de la société. Le capital total étant divisé par un plus petit nombre, la valeur de chaque titre augmente (et s’encaisse à la revente) ainsi que le dividende distribué par action.
On parle d’une opération relutive, avec un BPA «relué», souvent interprété positivement par les marchés. Le BPA est en effet un des principaux indicateurs analysés par les investisseurs pour évaluer les performances financières d’une société. Plus il est élevé, plus le marché apprécie.
- Un soutien politique au management
La société peut conserver au maximum 20% du capital émis, calculés sur base de la valeur nominale des actions rachetées ou leur valeur comptable. Toutes les actions de la société détenues en portefeuille sont incluses dans cette limite de 20%. Les droits de vote liés aux titres sont acquis au management.
- Un placement financier dans l’attente d’investissements
Les rachats d’actions dotent l’entreprise d’un outil dans le cadre d’opérations de croissance externe. Hormis les rachats d’entreprises se négociant par des échanges de titres (OPE, offre publique d’échange), il peut être intéressant d’acquérir des actions à un taux avantageux en prévision d’une opération d’acquisition et ainsi éviter certains coûts lorsque la société ne dispose pas de liquidités suffisantes pour lancer une offre publique d’achat (OPA) sur sa cible.
- Un développement de l’actionnariat salarié
Les titres rachetés sont attribués aux salariés dans le cadre, par exemple, de plans de participation ou d’achats préférentiels d’actions. Ils peuvent également être alloués à des programmes de stock-options. Une fois ces actions à nouveau détenues, elles sont parfois tout simplement revendues dans le but de réaliser une plus-value boursière.
L’engouement des multinationales de la restauration collective
Avec 10,2 Md€ de rachats d’actions en 2014, les entreprises du CAC 40 ont accru de 55 % les restitutions de liquidités sous cette forme à leur actionnaires. Ce montant s’explique à hauteur de 6 Md€ par la sortie partielle de Nestlé du capital de l’Oréal (de 29 à 24 %). Sans celle-ci, le montant 2014 des rachats d’actions aurait été de 4,2 Md€, soit sensiblement égal aux 4,4 Md€ de 2013 retraités de deux opérations similaires de sortie d’actionnaires significatifs par rachat d’actions.
Mais avec 1,3 milliards d’euros de plans en cours, les deux françaises de la restauration collective représentent à elles-seules le quart de ce volume. Et leurs rivales étrangères ne sont pas en reste…
Sodexo : l’AG des actionnaires de Sodexo a voté en janvier 2015, une résolution autorisant la direction générale à mener un plan de rachat d’actions à discrétion, plafonné à 10% du capital social à la date de l’AG, dans les limites d’un prix individuel de 95€/l’action et 990 millions d’euros au total. Sodexo n’a pas attendu l’OPRA, le groupe mène des plans de rachats d’actions depuis 2009.
Elior : à peine un an après son introduction en bourse, l’AG des actionnaires réunie le 10 mars 2015, a adopté un plan de rachats d’actions ouvert jusqu’en septembre 2016, permettant le rachat de ses propres actions dans la limite de 10% de celles existantes, pour un montant unitaire limité à 18 € et un total de 300 millions d’euros.
Compass : le plan se terminant en septembre 2015 et dont la limite maximale de £500 millions (683,3 millions d’euros) est presque atteint fin juillet (£475 millions – 649 M€), porte le total des rachats d’actions sur les 7 derniers exercices à £6 milliards (8,2 Md€). En annonçant en mai 2015, la possibilité de la non reconduction de ces plans, Richard Cousins, le D.G. du groupe, a provoqué la plus forte chute du cours de l’action en 10 mois.
Aramark se vante d’être la seule entreprise introduite 3 fois en bourse (NYSE) après avoir racheté 2 fois la totalité de ses propres actions dans des opérations de management buyout. Aujourd’hui détenu à plus de 70% par 3 fonds et son ancien manager, Joseph Neubauer, Aramark est LA rivale de Sodexo sur le marché des États-Unis. Le 17 août dernier, le groupe a annoncé un rachat ponctuel de 1,5 millions de ses propres actions ($32,49/pièce au 17/08/15) pour un montant de 50 millions de dollars (43,6 M€) auprès de certains fonds minoritaires sortants. Cette annonce a irrité l’agence Moody’s, qui estime que l’opération consiste en un crédit à taux négatif sans désendettement du groupe. En 2011, le groupe avait emprunté $600 millions pour compléter les dividendes de ses actionnaires.
Pierre, feuille, ciseaux…
Les entreprises de RC génèrent d’immenses réserves de trésorerie grâce à une macroéconomie assurant un prépaiement des produits et services par le consommateur et un règlement tardif de la main d’œuvre et des fournisseurs.
S’éloignant d’un « partage plus juste » de la valeur ajouté, l’OPRA permet d’employer ces réserves de liquidités aux rachats d’actions, dégageant des bénéfices par action améliorés au profit des actionnaires, dont la composition « familiale » est à souligner dans le cas des françaises.
Les paramètres de rachat de 10% du capital social existant par OPRA et de 20% d’actions pouvant être conservés en propre pourrait ouvrir la porte à quelques « petits meurtres entre amis » parmi les actionnaires permettant de renforcer le pouvoir des dirigeants actuels. En effet, il suffirait de quelques années pour concentrer le pouvoir entre leurs mains.
En renversant cette logique, on pourrait craindre une prise d’otage des fonds d’investissement exigeant des rétributions au-delà des capacités du simple dividende en échange de leur maintien dans le capital. Après tout, les titres de ces entreprises ne sont adossés à aucune propriété, meuble ou immeuble, mais des stocks de contrats (du papier !).
Et si, demain, ces OPRA disparaissaient ?