Une spirale descendante… AirBnB rétrécit l’offre de logements disponibles pour les salariés aux revenus modestes et instaure une concurrence susceptible de dégrader les emplois du secteur hôtelier.
Grâce à l’actualité, vous aurez entendu parler de cette « app » sur Internet et téléphone mobile. Issue de la nouvelle économie de partage, il relie les gens qui ont une chambre vide, un appartement, ou une maison avec d’autres qui sont à la recherche d’un hébergement.
Le hic : ces loueurs informels n’ont pas l’obligation de suivre les règles strictes régissant les hôtels et sont en mesure de casser les prix qu’ils pratiquent.
Les entrepreneurs malins ont été prompts à en profiter, spéculant sur l’absence de réglementation et la possibilité d’échapper à celle qui existe en rénovant des apparts, les meublant et les mettant à disposition sur Internet, profitant des revenus ni vus ni connus. Certains d’entre eux posséderaient jusqu’à 25 offres. D’autres proposent petit-déj., le transfert à l’aéroport et divers services.
Bien sûr, les spéculateurs ne sont pas les seules à proposer des nuitées sur AirBnB. A l’autre extrémité, des gens ordinaires en tirent un peu d’argent supplémentaire pour faire face aux fins de mois et à la hausse des loyers.
En attendant la prochaine crise…
La Mairie de Paris s’en est bien rendu compte rappelant aux loueurs, campagne médiatique à l’appui, que les hébergements touristiques doivent se conformer à la législation. Des inspecteurs ont donc été envoyés demander leurs autorisations aux « hôtes » du secteur informel. Bien évidemment, Anne Hidalgo voit-là, une manne en termes de taxes de séjour qui échappent pour l’instant à la recette municipale.
Or, si, pour l’instant, le secteur hôtelier semble connaître une légère croissance, chacun sait que l’activité est cyclique. Dès la prochaine crise, les voyageurs les plus nombreux seront tirés vers l’offre la plus économique ; l’effet AirBnB sera alors beaucoup plus conséquent.
De ce point de vue, la Mairie a bien intérêt à mettre les points sur les i ; l’offre de nuitées sur AirBnB explose.
Selon ses dirigeants, elle serait passée de 4 000 en 2012 à plus de 40 000 actuellement en région parisienne. Pour se la représenter, c’est autant de chambres que la chaîne Novotel en Europe et davantage (+20%) que les enseignes Ibis en France. De quoi dépasser même la ville de son origine, San Francisco, en termes d’offre. C’est pourquoi Paris, après San Francisco l’année dernière, est retenu comme lieu d’accueil de la seconde convention des « hôtes » AirBnB du 12 au 14 novembre prochains (1).
L’Ile de France compte environ 160 000 chambres pour quelques 2500 hôtels. En 2013, plus de 67,4 millions de nuitées ont été vendues dans la région.
L’offre d’AirBnB représente un potentiel de plus de 14,5 millions de nuitées sur l’année. En appliquant le taux d’occupation moyen de 73% en Ile de France (60% en France), les hôtes peuvent espérer vendre 10,6 millions de nuitées. Epoustouflant ! Et à l’évidence, il reste encore des parts de marché à prendre.
AirBnB : allié de circonstance des grands groupes ?
Déclarant qu’il y a de la place sur le marché pour toutes les offres, les grands groupes adoptent des stratégies pour booster leurs ventes sur Internet. L’activité commerciale est de plus en plus automatisée et transférée au client lui-même, permettant de réduire les équipes des sièges et des réceptions.
Une chambre d’hôtel sur deux dans la région appartient désormais à une chaîne et cette proportion va croissante. Toutes sont disponibles sur au moins une plate-forme Internet. En supposant que les groupes maintiendront leurs parts de marché grâce aux contre-attaques et AirBnB continuera sa progression – sauf réglementation stricte de l’Etat – ce sont les indépendants et les salariés qui en feront les frais.
Les groupes ne sont certainement pas mécontents de voir les indépendants jeter l’éponge ou se tourner vers la franchise ; d’où une position d’attente vis-à-vis d’AirBnB contrairement à la riposte réservé à Booking.com et d’autres sites de réservation.
Mais attention, certains indépendants retrouvent une rentabilité en commercialisant leurs chambres sur AirBnB, se réjouissant de ne plus avoir besoin de payer ni réceptionniste ni machine à cartes bancaires.
Le schéma de l’emploi salarié cassé
En se fiant aux statistiques des enquêtes INSEE de la fréquentation hôtelière (hors restauration), 1 emploi est généré par un peu moins de 3 chambres disponibles. On peut estimer, si toutes ces offres étaient disponibles 365 jours par an, qu’entre 14 000 et 15 000 emplois seraient nécessaires pour gérer ce parc et qui échapperaient au statut de salarié comme à la protection de la Convention Collective Nationale des HCR. Et autant de cotisations sociales qui échappent aux caisses.
Bien sûr, ce chiffre peut paraître élevé. Mais si on considère qu’une femme de chambre dans un hôtel traditionnel s’occupe de 8 chambres par jour ; même s’il est vrai que dans les hôtels économiques, la sous-traitance a doublé ce chiffre ; ainsi que toute la panoplie de métiers : portiers, concierges, veilleurs de nuit, room-service, économat, réception, blanchisserie, management… pour n’en mentionner que quelques-uns, ce chiffre est vraisemblable.
Il est certain que les employeurs ne tarderont pas à citer cette nouvelle concurrence « favorisée par l’Etat » (comme disent les taxis d’UberPOP) pour exiger des concessions sur les salaires et avantages octroyés par la Convention Collective Nationale.
L’offre de logements locatifs privés en diminution ?
« L’autre effet » AirBnB serait la diminution de l’offre de logements locatifs à Paris et en proche banlieue. Accusé de réduire le nombre de logements abordables (chambres de bonne, petits studios) à bail, les salariés modestes seraient repoussés en banlieue plus lointaine pour y subir une augmentation significative de leurs temps/frais de transport.
Là aussi, les calculs sont vite faits. Les logements locatifs du parc privé en Ile de France sont d’une surface moyenne de 53 m² pour un loyer mensuel moyen de 913 € (2) soit 0,57 € le m²/nuit. Les louer en hébergement temporaire semble immédiatement plus profitable (3) !
Si, à Paris, aucune étude ne semble disponible, à San Francisco, le syndicat des employés d’hôtels, UNITE HERE, n’hésite pas à mettre en cause AirBnB dans la flambée des loyers qui voit une chute du nombre de ses membres habitant la région de la baie. Il y a peu, ils représentaient encore 60% de ses effectifs. Selon un responsable : « Soit ils acceptent des hausses de loyer disproportionnées exigées par les propriétaires, soit ils sont expulsés pour voir par la suite, leurs anciens logements transformés en unités de location à court terme. Deux-tiers des annonces AirBnB de San Francisco sont désormais des maisons ou des appartements qui pourraient être utilisés par un résident ».
Salariés de l’hôtellerie : préparez vous à défendre vos emplois !
Enfin, on peut s’étonner du relatif silence des syndicats patronaux, dont les positions sont très loin de rappeler les vociférations contre « la concurrence déloyale » des chambres d’hôtes et autres gîtes fermiers il n’y a pas si longtemps. Aux côtés des groupes, y voient-ils une opportunité stratégique de casser le droit du travail de la branche ?
Quoiqu’il en soit, AirBnB représente une menace pour l’emploi dans l’hôtellerie et en premier lieu, dans le secteur indépendant où statistiquement, les emplois sont les plus nombreux et les mieux rémunérés – mais où le taux de syndicalisation est le moins fort. Coincés entre les grands groupes qui œuvrent depuis toujours pour diminuer les « charges du personnel » et de nouveaux arrivants opérant hors cadre social, ces salariés ont peu de chances de s’en sortir indemnes.
Morale de l’histoire… employés des hôtels, faîtes comme vos employeurs, défendez vos intérêts collectivement au sein d’un syndicat !
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