Pouvez-vous imaginer un monde où les multinationales pourraient faire un procès au gouvernement pour avoir donné un coup de pouce au salaire minimum ? Ou encore l’attaquer en justice pour avoir légiféré contre l’emploi de semences OGM dans nos champs ? Deux accords sont actuellement en cours de négociation pour fixer de nouvelles règles au commerce international pour les décennies à venir et ce sont, selon les organisations syndicales internationales, des conséquences qu’ils pourraient entraîner…
Le premier accord, négocié entre l’Union Européenne et les Etats-Unis, est connu sous le nom de Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement. En réalité, il concerne bien d’autres pays qui ont intérêt à s’y conformer afin de commercer avec les deux blocs sans devoir se soumettre à d’autres taxes et contrôles douaniers.
Le second, négocié entre 12 pays (Australie, Brunei, Canada, Chili, Japon, Malaisie, Mexique, Nouvelle-Zélande, Pérou, Singapour, Etats-Unis et Vietnam), est appelé Accord de Partenariat Trans-Pacifique.
L’objectif affiché est de faciliter la circulation des biens et des services en éliminant au niveau international, des milliards de dollars de taxes à l’importation. Des intentions fortement contestées par le mouvement syndical…
L’UITA (1) ne mâche pas ses mots : « Si ces traités entrent en vigueur, ils affaibliront les gouvernements élus et renforceront le pouvoir des sociétés transnationales, à tous les niveaux. Il faut s’opposer à ces accords, ce que les pressions de l’opinion publique sont en mesure de faire, comme l’a prouvé le cas de l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI) ». L’organisation publie un rapport intitulé « Ces accords commerciaux qui menacent la démocratie » (2).
Le secret entourant ces négociations pose aussi problème. Pour la Confédération Syndicale Chrétienne (CSC) belge, « des fonctionnaires de l’UE se servent des fondements du modèle social européen comme d’une monnaie d’échange dans les négociations sur le libre échange, alors qu’ils n’ont aucun mandat à cet effet » et « demande la suspension immédiate des négociations et un débat démocratique sur le mandat de négociation » (3).
L’Internationale des Services Publics tire aussi la sonnette d’alarme. Dans un rapport intitulé « L’accord pour le Commerce et des Services CONTRE la démocratie » (4), elle détaille tous les avantages octroyés aux multinationales des pays riches au détriment des peuples des pays pauvres, dont la mise en cause de la notion même du service public. A l’avenir, hormis une ouverture à la privatisation des services de l’eau, de l’environnement, de la restauration collective, des soins, des transports, etc., une fois privatisés, les gouvernements ou autorités locales n’auraient plus la possibilité d’évincer les entreprises privées en recréant une régie publique. Même en cas de forte insatisfaction du prestataire, l’appel d’offres au secteur privé serait la seule solution.
Il y a, en effet, de quoi s’alarmer ! Le principe de précaution cher au modèle social européen est malmené sur de nombreux fronts comme la sécurité alimentaire, les normes d’hygiène et de santé au travail, la sécurité de l’emploi, les effets de nouveaux produits et de nouvelles technologies sur l’environnement, le niveau de risque des produits financiers proposés au grand public par les banques et assurances… Tout est revu et corrigé favorablement aux institutions « trop grandes pour sombrer ». Avec une possibilité de recours juridique internationale lorsque le « big business » estimerait ses profits entravés. « Une véritable liste de vœux de Noël des employeurs » selon une ONG britannique (38°), qui dénonce par ailleurs, l’incompétence des juges à ce niveau et la part importante des décisions rendues en faveur des multinationales.
La Confédération Européenne des Syndicats, dans une lettre de Bernardette Ségol, sa secrétaire générale, au Commissaire au Commerce de l’Union Européenne, Karel de Gucht, déclare « la CES [est] radicalement opposée à l’inclusion d’un règlement des différends entre investisseurs et états dans le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement » (5).
Sharan Burrow, secrétaire générale de la CSI, déplore que « les gouvernements sont en train de négocier dans le plus grand secret des réglementations financières à la baisse, au lieu de tenter de venir à bout du problème de réglementation ayant déclenché en 2007 la crise économique mondiale qui sévit encore. Qu’ils soient réellement en train de prévoir d’aider les banques trop importantes pour sombrer et d’autres conglomérats financiers à poursuivre leur expansion, cela dépasse l’entendement. »
Alors que les salariés européens, tout comme les travailleurs américains, ont déjà l’impression d’être les laissés pour compte de la politique économique, ces accords commerciaux pourraient bien constituer une menace pour la démocratie.
Notes :
(1) L’Union Internationale des Travailleurs de l’Agro-Alimentaire, de l’hôtellerie et de la restauration.